Manger à en oublier les jours maigres

Jusqu’au 20e siècle, l’alimentation des Européens était dictée par l’Eglise.

Pourquoi mange-t-on du poisson le vendredi ? Pourquoi des fritures pour carnaval ? Souvenirs des jours maigres et des jours gras qui ont ponctué le calendrier catholique depuis le Moyen Age.
Poisson, l'aliment des jours maigres.
© Alimentarium/Gravure tirée de l’ouvrage d’Antoine Carême, Le cuisinier parisien : l’Art de la cuisine française au 19e siècle, 1835, Paris : Ed. Carême/Bossange, p. 143." data-slide="http://www.ealimentarium.ch/sites/default/files/poisson-maigre-livre-recettes-beauvilliers-1814_detail.jpg"/>

Poisson, l'aliment des jours maigres.
© Alimentarium/Gravure tirée de l’ouvrage d’Antoine Carême, Le cuisinier parisien : l’Art de la cuisine française au 19e siècle, 1835, Paris : Ed. Carême/Bossange, p. 143.

Le jeûne, et ses vertus théologiques, est pratiqué par la plupart des grandes religions. Si le Ramadan des musulmans est aujourd’hui le plus connu d’entre eux, c’est parce que nos sociétés chrétiennes ont oublié les interdits alimentaires dictés par le calendrier catholique. Jours maigres et jours gras ont rythmé les repas du Moyen Age au 20e siècle, les premiers étant deux fois plus nombreux que les seconds. C’est dire si les Européens d’autrefois, en plus des disettes récurrentes, devaient en plus se plier à des règles qui compliquaient leur alimentation; de 150 à 250 jours par an, selon les régions et la piété.

Une pitance de pénitence

En mangeant maigre, le croyant fait pénitence en souvenir d’épisodes de la vie du Christ, de la Vierge ou de saints importants. Il ne s’agit pas pour lui de jeûner complètement mais d'éviter les produits carnés défavorables à la sobriété, au recueillement et à l’abstinence sexuelle. Ce faisant, il se met en condition pour mieux témoigner de sa foi. Il y va de son salut ! Il y est plus particulièrement invité lors des grandes fêtes liturgiques telles la Résurrection, les 40 jours du Carême ou le mercredi des Cendres. Et pour faire bonne mesure, le fils de Dieu ayant été crucifié vendredi Saint, tous les vendredis sont décrétés maigres. Les plus fervents en feront de même avec les mercredis en souvenir du mercredi des Cendres.

Il est interdit de manger…

...de la viande, du lard, de la crème et du beurre les jours maigres, ainsi que les œufs lors des jours jugés les plus éminents. Ces mêmes aliments reviennent sur les tables les jours gras et de façon plus abondante lors de carnaval où les spécialités frites (beignets, merveilles…) réchauffent les corps en ces mois de janvier et février et les préparent aux 40 jours de pénitence du Carême qui suivront. Il n’est pas impossible que les Réformateurs aient usé d’un argument alléchant lors de leurs prêches dans le nord de l’Europe: avec le protestantisme disparaissent les jours maigres et plus particulièrement ceux du Carême. Ces derniers se révèlent en effet éprouvants lorsque l’on ne peut consommer de graisse animale (comme le beurre) et que l’hiver est encore rigoureux. Les Scandinaves ne pouvaient à l’instar des Méditerranéens se rabattre sur l’huile d’olive, autorisée les jours maigres puisque d’origine végétale mais alors inconnue chez eux.

Poisson, le supplice du plat maigre

Pendant longtemps, les enfants ont vu approcher les repas du vendredi avec effroi. A la cantine, à la maison ou au restaurant, ils ne pouvaient échapper au poisson, à la chair si triste et pourtant hérissée d’arêtes. Si aujourd’hui la règle de servir du poisson à vendredi tend à être moins suivie, sa relative persistance dans une société laïque est tout de même remarquable. L’on voit ainsi des restaurateurs asiatiques ou orientaux servir du poisson en plat du jour le vendredi par respect des habitudes locales, alors que la signification religieuse leur est complètement étrangère. A l’instar de la majorité des Occidentaux d’ailleurs qui ont oublié que le poisson est un aliment maigre par opposition à la viande et qu'il symbolise aussi le Christ. Les premières lettres des mots grecs de la phrase « Jésus Christ fils de Dieu sauveur » composent le mot poisson en grec (ichthus).

Repas maigres, repas gras, savourez-les au musée !

Au cœur du musée de l’alimentation de Vevey, l’Alimentarium, trône une vaste cuisine. Mis en appétit par les odeurs qui s’en échappent, les visiteurs s’y arrêtent volontiers, regardent les cuisiniers s’activer derrière leurs casseroles, les questionnent sur les plats en préparation et, l’heure du repas venue, viennent y chercher une assiette. Pas n’importe quelle assiette ! Une tranche d’histoire y est mise en scène, d’autant plus facile à saisir qu’elle est aussi délicieuse à manger que belle à regarder. L’une d’elles, servie au restaurant en 2011 dans le cadre d’une exposition qui traitait notamment du lien entre nourriture et religion, explorait le thème du gras et du maigre. Pour sa réalisation et le choix des ingrédients, le chef Jean-François Wahlen et son équipe s'étaient inspirés de recettes ayant cours dès la fin du 18e siècle. Le menu maigre évite évidemment la viande et les graisses animales, tandis que le menu gras rappelle les festins de carnaval, lorsque tout est permis, viandes, volailles et fritures en tête.
Repas maigre : filet de flétan mariné, sauce aux herbes, pommes de terre natures, chiffonnade de fenouil à la vapeur. Dessert : lamelles de pommes au citron et meringue.
Repas gras : ballotine de poulet, sauce au lard et à la crème, pommes de terre rissolées au saindoux, flan de betterave rouge aux œufs. Dessert : merveilles frites.

recette

Gras ? Maigre ? Recettes du flétan mariné, sauce aux herbes

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Gras ? Maigre ? Recettes du poulet au lard et à la crème

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Annika Gil

Baratter du beurre à l’ancienne

Démonstration avec une baratte de la collection du musée, datant de 1930 environ et utilisée dans les ménages privés. L’usage voulait que l’on baratte du beurre spécialement pour le dimanche, un jour gras.  Une fois le beurre obtenu, il était soit consommé tel quel ou, surtout s’il devait être vendu, placé dans un moule pourvu d’un motif en relief symétrique. Une fois démoulée, la plaque de beurre était ornée dudit motif. D'un coup d’œil, l’acheteur pouvait voir si la plaque était entière ou si un morceau en avait été retiré ! Le beurre a longtemps été un produit coûteux ; il était tentant d’en vendre moins qu’annoncé.

Les herbes sauvages sont follement bonnes. La preuve avec le chef Carlo Crisci.

Parrain de La Semaine suisse du Goût 2014, le cuisinier Carlo Crisci a investi la cuisine de l’Alimentarium le temps d’un après-midi magique, le 25 septembre 2014. Au menu de sa démonstration culinaire, a priori un simple consommé aux herbes. Qui au moment de sa dégustation se révélera aussi rapicolant que réjouissant. Grâce au tour de main du chef vaudois,  les herbes sauvages choisies se sont transformées en un exquis bouillon au goût de bœuf. Idéal pour un jour maigre!

La recette du consommé présentée par Carlo Crisci figure dans son ouvrage rédigé en collaboration avec l’ethnobotaniste François Couplan, Vertiges des saveurs .